Née des désirs des navigateurs de l’Atlantique et des caravaniers du Sahara, Mogador se trouve à mi-chemin entre deux infinis : la mer et le sable. Lovée dans ses murailles aux éclats de sel, la ville a l’âge de l’écriture et ses ruelles tracent une lettre supplétive à l’alphabet originel. Aristote et Apulée y jetèrent des semences dont les fruits magiques font voir l’invisible, nourrissent les amants qui se regardent avec les doigts et se dessinent avec la bouche. Un poète y suit Hassiba, sa bien-aimée, par la route du safran et de la pourpre des empereurs. Au bout du voyage physique, après le pain et le vin, commence le voyage intérieur et les amants alanguis de chaleur, ensorcelés par le chant des fontaines, retombent sans cesse amoureux l’un de l’autre. Ainsi, en aimant en spirale, Hassiba dévide le collier de ses histoires, les perles qu’elle porte à même la peau.
Si le hasard est le nombre de Dieu, Mogador est son nom caché. Là-bas, on ne compte pas de dix en dix, mais de neuf en neuf, laissant le zéro passer en silence. Le cœur de la ville est une conque et le tumulte du sang, un hymne. Le soleil s’arrête au zénith; les chants et les danses battent au rythme d’une horloge de sel; les sexes sont des cris éclatés en grains de grenade; la musique fuse des battements des paupières, des gestes des pêcheurs et des allures des chameaux chargés du sel de Tombouctou; les nuages recueillis dans les tissus brodés de coquillages racontent les catastrophes et les fêtes; le souffle des alizés fait vibrer la peau des morts en vents de requiem. À Mogador, le livre unique est délétère. Enfants du royaume des merveilleux bruits qui courent, des légendes et des mystères qui se multiplient, les amants délivrés du Livre déploient leurs croyances fugitives répétées en rêve tout au long des nuits. L’exaltation sensuelle est une théologie de l’amour et les labyrinthes protègent la fragile substance de l’invisible : l’essence de la vie. Seuls peuvent la voir les amoureux, oints de lumière, dont les regards couvrent le monde d’une tonalité d’argent chaud.
Souveraine et sensuelle, la poésie d’Alberto Ruy Sánchez est une féconde symbolisation d’un monde chaud à la peau fraîche, délicatesse d’orfèvre façonnant en filigrane.