Liberté sur parole
Là où cessent les frontières, les chemins s'effacent. Là commence le silence. J'avance lentement et je peuple la nuit d'étoiles, de paroles, de la respiration d'une eau lointaine qui m'attend où paraît l'aube.
J'invente la veille, la nuit, le jour qui se lève de son lit de pierre et parcourt, yeux limpides, un monde péniblement rêvé. Je soutiens l'arbre, le nuage, le rocher, la mer, pressentiment de joie – inventions qui s'évanouissent et vacillent face à la lumière qui se désagrège.
Et puis, les arides montagnes, le hameau d'argile séchée, la réalité minutieuse d'un pirú stupide, de quelques enfants idiots qui me lapident, d'un village rancunier qui me dénonce. J'invente la terreur, l'espoir, le midi – père des délires solaires, des femmes qui châtrent leurs amants d'une heure, des sophismes de la lumière.
[...]
Là où s'effacent les chemins, où s'achève le silence, j'invente le désespoir, l'esprit qui me conçoit, la main qui me dessine, l'œil qui me découvre. J'invente l'ami qui m'invente, mon semblable ; et la femme, mon contraire, tour que je couronne d'oriflammes, muraille que mon écume assaille, ville dévastée qui renaît lentement sous la domination de mes yeux.
Contre le silence et le vacarme, j'invente la Parole, liberté qui s'invente elle-même et m'invente, chaque jour.
Octavio Paz.